
Photo: Anne-Laure Lechat, 2023 ©Institut et Haute École de la Santé La Source
« Nous sommes passé·es d’une approche basée sur les savoirs à une approche centrée sur la pratique professionnelle. »
« Le plus grand défi, c’est de former des infirmier·ères capables de s’intégrer dans le système de santé actuel, tout en devenant des acteur·trices de sa transformation de demain », affirme Anne-Claude Allin, professeure honoraire de La Source qui a participé activement au Plan d’étude cadre (PEC) 2022. Basé sur la loi fédérale sur les professions de la santé (LPSan) entrée en vigueur en 2020, il introduit un certain nombre de changements et intègre les évolutions de la profession en lien avec le vieillissement de la population, la polymorbidité ou la complexification des soins. Pour guider l’élaboration des programmes, il a été structuré en deux volets : la définition des compétences que doivent acquérir les futur·es diplômé·es durant leur cursus de Bachelor et les axes de formation permettant d’y parvenir.
Le socle définissant les compétences des infirmier·ères du PEC 2022 repose sur les sept rôles professionnels tels que définis dans le référentiel de compétences du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, une référence internationale en la matière. Ces rôles sont ceux d’expert·e, de communicateur·trice, de collaborateur·trice, de leader, de promoteur·trice de la santé, d’apprenant·e et de formateur·trice, ainsi que de profesionnel·le. « Les évolutions majeures se situent au niveau du rôle de leader et des axes de formation, souligne Anne-Claude Allin. Nous sommes passé·es d’une approche basée sur les savoirs à une approche centrée sur la pratique professionnelle. Les savoirs théoriques restent importants, mais ils doivent être au service des compétences à exercer par les étudiant·es. Dans cette perspective, les cours magistraux perdent en importance pour laisser la place à davantage de simulations, d’ateliers pratiques ou de jeux de rôles. L’alternance intégrative est aussi renforcée. Ces approches existaient déjà auparavant, mais elles ont été formalisées dans le PEC 2022. »
Analyse approfondie de l’environnement de formation
Le PEC en soins infirmiers a été conçu pour servir de cadre au programme Bachelor des six hautes écoles de santé de la HES-SO. Il diffère en cela d’autres PEC qui concernent une seule école au sein d’une même filière. Il a donc volontairement été conçu de manière générique, afin de laisser une marge de manœuvre aux hautes écoles pour concevoir leur propre programme en lien avec leurs spécificités régionales et identitaires. À La Source, c’est un collectif formé par des représentant·es des Laboratoires d’Enseignement et de Recherche (LER) de l’Institution, mené par Anne-Laure Thévoz, responsable du programme Bachelor, qui a œuvré à la conception du nouveau programme. L’équipe a commencé par analyser trois dimensions : comprendre qui sont les apprenant·es, quels sont leurs besoins et leurs spécificités ; réfléchir aux contenus du programme, en lien avec les besoins professionnels actuels et futurs, ainsi que les spécificités des HES vis-à-vis des ES et des universités ; définir les ressources institutionnelles, au niveau des expertises et en termes de logistique. « Pour réaliser ce travail, nous avons mené des échanges à différents niveaux, explique Anne-Laure Thévoz. Ils ont inclus des enseignant·es, des étudiants·es, des partenaires professionnel·les et des pair·es praticien·nes. Dès le départ, la volonté était de développer une vision partagée et de co-construire le programme et ses enseignements. Nous avons aussi effectué une étude de la littérature existante sur les bonnes pratiques de la profession, la formation, ainsi que l’intégration des diplômé·es dans le monde professionnel. Sur cette base, nous avons formulé une quarantaine de constats. »
Certains de ces constats ont joué un rôle prépondérant dans la conception du nouveau programme. Il y a tout d’abord la hausse du nombre d’étudiant·es depuis dix ans, qui induit de nouvelles formes d’organisation des enseignements, de gestion des ressources humaines et des locaux. La population estudiantine s’avère aussi hétérogène. Certain·es étudiant·es sont en reconversion professionnelle, d’autres assument des charges familiales ou rencontrent des situations financières délicates. Un deuxième constat majeur est celui de l’écart entre les compétences des diplômé·es et les exigences des environnements professionnels, nécessitant une entrée rapide en activité dans des milieux de plus en plus spécialisés. Or le Bachelor en soins infirmiers est une formation de type généraliste. Au niveau des contenus de formation, certains ont pris une place importante. La digitalisation impacte désormais tous les échelons de la profession et fait évoluer les outils. L’interprofessionnalité gagne elle aussi en importance car son impact en termes de qualité des soins est attesté. La santé environnementale, la durabilité et l’innovation ont été reconnues comme des thématiques transversales désormais incontournables, de même que la diversité et l’inclusion. Il est admis aujourd’hui que les futur·es infimier·ères doivent développer des compétences dans tous ces domaines.
Le rôle d’un plan d’étude cadre
Un plan d’étude cadre (PEC) est un document officiel qui établit la structure générale des études à suivre dans un domaine. Il définit les compétences et les niveaux de développement, les matières principales à étudier, les méthodes pédagogiques à privilégier, ainsi que les modalités d’évaluation pertinentes. Il constitue ainsi un cadre pour les institutions et les enseignant·es. Le PEC du Bachelor en soins infirmiers de la HES-SO a été élaboré par les responsables des filières des six hautes écoles de santé de la HES-SO et validé par le Comité directeur du domaine santé. Il est renouvelé tous les dix ans. Le dernier PEC de la filière datait de 2012.
« Les méthodes pédagogiques favorisant la participation active sont privilégiées, de même que l’implication des étudiant·es dans des projets de recherche. »
Des dispositifs nourris par la recherche
Les LER ont été sollicités tout au long de la construction du programme Bachelor afin de mobiliser leurs expertises, les cadres théoriques et les connaissances scientifiques les plus récentes. Le programme a ainsi été structuré en s’appuyant sur la théorie « Expérimenter des transitions » développée par la professeure et chercheuse en sciences infirmières Afaf Ibrahim Meleis. Elle met l’accent sur les processus de transition auxquels les individus font face tout au long de leur vie et qui impliquent des changements dans leurs rôles, leurs relations, leurs identités ou leurs environnements. « Au-delà de la structuration du programme, nous nous sommes inspiré·es de ce cadre pour identifier l’ensemble des expériences de transitions auxquelles les personnes soignées par le futur personnel infirmier peuvent être confrontées, explique Annie Oulevey Bachmann, professeure HES ordinaire à La Source. Ces transitions sont de différents types et les changements biopsychosociaux qui leur sont associés fragilisent les individus parce qu’ils ébranlent leur identité. Ce cadre de référence nous a permis d’organiser les scénarii pédagogiques et les contenus des modules. »
Certains projets de recherche ont aussi contribué à nourrir les réflexions sur le programme, en particulier au niveau du renforcement des soft skills. « Les études menées ces dernières années indiquent que les habiletés relationnelles et humaines, ainsi que l’assertivité et la connaissance de soi sont essentielles pour les infirmier·ères, précise Annie Oulevey Bachmann. Elles leur permettent de gérer les nombreuses émotions liées à leur proximité avec des personnes souffrantes ou en fin de vie, d’exprimer leur point de vue de manière ferme et professionnelle, ainsi que de mieux travailler avec les autres professionnel·les. La recherche atteste que ces compétences se développent et ne sont pas innées. » Le projet HealStud a de son côté analysé durant trois ans les ressources permettant aux étudiant·es de la HES-SO de se maintenir en bonne santé mentale. L’une d’elles, également retrouvée dans la littérature internationale, est la faculté de croire en ses capacités de réussir une tâche. « Dès lors, nous allons chercher à développer ce sentiment chez les étudiant·es par divers moyens », précise Annie Oulevey Bachmann. Un autre projet, nommé SwissNiFe, a permis la mise en place d’un programme de mentorat par des alumni pour soutenir la transition entre la dernière année de formation et la première année d’exercice professionnel. Des diplômé·es depuis moins de cinq ans accompagneront les futur·es diplômé·es en partageant leurs expériences et leurs émotions respectives.
Mathieu Turcotte, maître d’enseignement HES qui effectue actuellement une thèse sur les parcours de soins des personnes LGBTQIA+, a de son côté contribué à l’intégration des thématiques de la diversité et de l’inclusivité dans le nouveau programme. « L’objectif est de former des professionnel·les capables de répondre aux besoins de toute la population, qui peut être perçue comme une somme de minorités. Cela concerne notamment les femmes, les seniors, les populations LGBTQIA+, ou encore celles issues de la migration. Il ne s’agit pas de les victimiser, mais de leur rendre leur agentivité. Et surtout, de ne pas reproduire les discriminations véhiculées par la société. » Les futur·es infirmier·ères ne vont pas se spécialiser dans des problématiques particulières, mais seront familiarisé·es avec certains cadres théoriques et acquerront ainsi des capacités de réflexivité sur leurs propres expériences face à l’altérité. Dans ce but, le nouveau programme fera une place à des interventions de partenaires issu·es des terrains associatifs. « Les outils acquis dans ce domaine pourront aussi servir à l’émancipation des infirmier·ères, poursuit Mathieu Turcotte. Il s’agit de renforcer leur capacité d’agir et de s’exprimer dans un système de soin d’héritage patriarcal. »
Les étudiant·es acteurs et actrices de leur formation
« Lors de la conception du programme, une question de fond était celle de l’importance à donner aux différents contenus dans le cursus, avance Anne-Laure Thévoz. Le nombre de modules est limité et cela implique de faire des choix en permanence. Nous avons privilégié l’acquisition de soft skills et de compétences permettant de continuer à se former tout au long de la vie. » Dans cette optique, le nouveau programme vise à émanciper les étudiant·es et à les rendre acteur·trices de leur parcours de formation. Il intègre un bilan de compétences en première année afin de les inciter à réfléchir en termes de projet professionnel. Il augmente aussi les possibilités de modules à options, qui passent de 20 à 32 crédits sur les 180 du Bachelor. Les méthodes pédagogiques favorisant la participation active sont également privilégiées, de même que l’implication des étudiant·es dans des projets de recherche. Que ce soit durant leur travail de Bachelor ou durant certains modules, ils·elles seront amené·es à intégrer une véritable culture de recherche.
« Les étudiant·es ne peuvent pas tout acquérir en trois ans, souligne Anne-Laure Thévoz. C’est pourquoi nous avons cherché à leur donner les clés pour s’intégrer de manière harmonieuse dans les milieux professionnels et y progresser. » Conçu de manière agile, le nouveau programme a été introduit en août 2023 pour les étudiant·es de première année. Suivront en 2024 celles et ceux de deuxième et troisième année. Ce processus est accompagné d’un dispositif d’évaluation qui sollicite tant le corps enseignant qu’estudiantin. Il ne s’agit donc pas d’un programme statique ou figé. Il sera au contraire amené à évoluer en regard des évaluations et d’un processus collectif d’amélioration continue.

Photo: Anne-Laure Lechat, 2023 ©Institut et Haute École de la Santé La Source
La formation pour lutter contre la pénurie
Le Canton de Vaud a lancé un plan pour lutter contre la pénurie de professionnel·les de la santé. Baptisé InvestPro, il vise à implémenter des mesures pour assurer la promotion des filières professionnelles, renforcer l’attractivité et améliorer les conditions de travail. L’un de ses volets concerne le développement de l’offre de formation, tant en quantité qu’en qualité. Il s’agit de passer progressivement de 300 diplômes annuels à 450 d’ici 2030. Des aides financières sont prévues pour les étudiant·es en situation de précarité, ainsi qu’un soutien pour celles et ceux rencontrant des difficultés académiques. Le nouveau programme Bachelor de La Source devra donc s’adapter continuellement à ces évolutions.